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Du sens et du bon sens

Il y a quelques jours, j’ai mentionné dans un post, publié sur ce réseau, le livre co-écrit par Julia de Funès et Nicolas Bouzou, La comédie (in)humaine (éd. de L’Observatoire, 2018). J’y indiquais que, selon moi, la force de cet ouvrage était d’éclairer – avec une analyse très juste et étayée – ce qui fait cruellement défaut aujourd’hui dans nos entreprises : le sens et le bon sens. Les réactions à ce post me laissent penser que nous sommes nombreux à partager ce constat. Mon intention n’est surtout pas de dire que cette formule simple induit des réponses simples. Revenir au sens et au bon sens nécessite un changement profond de nos pratiques actuelles de management et – disons-le – de nos croyances.

La construction du sens

L’expression couramment employée (notamment par nous, communicants…) « donner du sens » est trompeuse. Car finalement le sens ne peut se donner à un individu. Il ne s’agit pas d’une donnée objective, donc transmissible. Certes, les actions engagées en entreprise sont supposées avoir un sens intrinsèque, porter une intention. Il est donc possible – et même indispensable – de partager, d’expliquer à ses collaborateurs, le sens d’une stratégie, d’un projet, d’un changement d’organisation. Mais ceci ne garantit pas que cette stratégie, ce projet, cette nouvelle organisation « fera sens » pour chaque collaborateur. Car le sens est aussi – et surtout – une construction individuelle. Une construction qui est liée à l’histoire, aux aspirations, aux valeurs de chacun. Cette construction peut être vue comme une rencontre entre un récit collectif et un vécu individuel. Finalement un projet d’entreprise « fait sens » pour un salarié quand il « lui parle » car il répond concrètement à l’une de ses attentes, de ses questions, voire de ses aspirations.

le sens se construit dans la durée, dans la confrontation entre ce qui est dit et ce qui est vécu

Mais, alors, comment peut-on travailler cette question du sens ? D’abord en veillant à ce que le récit de l’entreprise soit ancré dans la réalité de celle-ci et que les salariés puissent donc plus aisément s’y projeter. Ensuite, en favorisant un travail de traduction et d’appropriation de ce récit, ce qui nécessite des relais (les managers notamment) mais aussi du dialogue et surtout du temps. Car le sens se construit dans la durée, dans la confrontation entre ce qui est dit et ce qui est vécu. Si un salarié se voit expliquer une nouvelle organisation supposée créer plus de transversalité dans l’entreprise, cette organisation fera sens pour lui s’il constate qu’elle lui permet – chaque jour un peu plus – de mieux travailler avec ses collègues d’autres services. Ce changement pourra alors revêtir pour lui un sens. On voit bien dans cet exemple le lien très fort entre sens et cohérence. Toute incohérence – réelle ou perçue – entre ce que l’entreprise dit et ce qu’elle met en place empêche la construction du sens et crée même parfois une impression de « non sens », voire d’absurdité. Certains diront que rechercher ainsi la cohérence est une question de bon sens.

Le retour au bon sens

Effectivement, la question du sens est intimement liée à celle du « bon sens ». Cette notion n’est pas très estimée en entreprise car le concept y prend encore souvent le pas sur la pratique. Pourtant, le bon sens peut agir comme une boussole dans une période de transition où le management se cherche (et se perd parfois…). Quoi de mieux que de revenir à la raison pour sortir des situations ubuesques dans lesquelles nous nous trouvons parfois ? Je ne prendrai qu’un seul exemple pour illustrer cela.

Une entreprise dont la direction souhaite engager une transformation : passer d’un modèle de fonctionnement centré sur elle-même à un modèle tourné vers le client. Il s’agit de mener une réflexion pour comprendre quels leviers activer (gouvernance, management, communication, …) pour réussir cette mutation. On perçoit bien la profondeur de ce changement, la nécessité de le construire pas à pas, en veillant à associer ceux qui vont l’incarner : les salariés. Et pourtant cette entreprise fera le choix de définir « en chambre » 10 chantiers de transformation, portés par 10 groupes de travail (réunissant souvent les mêmes cadres) et devant rendre leurs conclusions dans 3 mois… Tout en continuant bien sûr à mener ses activités récurrentes. Vu de loin, cette situation prête à sourire. De près, malheureusement, elle entraîne les équipes mobilisées dans une spirale de réunions et de plans d’action, là où le bon sens conseillerait de prendre le temps de l’écoute, du dialogue, de la co-construction. 

le bon sens, comme le dit bien son équivalent anglais « common sense », renvoie à la notion de commun, de collectif, de partage

Cet exemple montre que revenir au « bon sens » en entreprise ne signifie pas tourner le dos à la réflexion et aux modèles managériaux. Cela implique juste d’y intégrer un paramètre-clé : les salariés. Car le bon sens, comme le dit bien son équivalent anglais « common sense », renvoie à la notion de commun, de collectif, de partage. Il est issu des interactions sociales, de l’expérience partagée, de la culture du groupe. Bien sûr, le bon sens ne doit pas devenir le seul critère de décision en entreprise. La connaissance, l’analyse doivent apporter leur éclairage. Mais le bon sens reste une boussole, indispensable pour mener l’entreprise à bon port, sans perdre en route ses forces vives.

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